Suite à la redécouverte, en mai 2003, avec mon ami Eric Trilles, de la fameuse entrée du Prado ( mentionnée par Cousteau dans les années 50), nos amis Ekke et Ralf plongent cette partie du réseau l’été qui suit jusqu’à -110 mètres. L’arrêt se faisant alors devant un puits énorme…
Pour Ekke et Ralf, ce réseau dont l’entrée se situe vers – 50, bifurque rapidement dans une direction différente du réseau principal de la Fontaine de Vaucluse. Cela fait rêver tout spéléologue qui se respecte et l’idée de faire de la première dans un réseau explore depuis plus de cent ans, nous enchante. Je reste néanmoins discret sur le sujet car j’ai une autre vision des choses.
Je décide donc de m’aventurer à mon tour dans ce tunnel noir mais attirant au moins jusqu’à la même profondeur. Le plaisir et les sensations de cette future plongée sont renforcées par mon opinion différente quant au lien avec le réseau principal.
Après une longue préparation sur ordinateurs (Abyss et Vr3) la logistique doit être peaufinée et la mise en place de la ligne de décompression se fait sans problème particulier. Nous avons finalement programmé une plongée à – 130 mètres pour vérifier les différentes hypothèses.
Pour cela nous décidons de descendre le Spélénaute (ROV de la SSFV) jusqu’à – 130 mètres dans le conduit principal, au sommet du grand puits, se terminant quand même 180 mètres au dessous. Roland, Eddie et Alain placent l’engin en quelques heures dans un recoin en stand by jusqu’à la plongée du lendemain.
C’est naturellement Raymond Fradin qui manœuvre l’ombilical du Spélénaute, son immense expérience au bout des doigts. Tous les membres du club sont là et sans cet esprit d’équipe rien ne serait possible.
Lionel et Eric descendent des blocs relais de trimix 21/35 vers les 60 mètres de profondeur.
Roland et son frère, le grand schmoldu, se chargent des blocs d’O2 et de Nx50, placés respectivement à -6 et -21 mètres. Notre apprentissage de la plongée profonde aux mélanges, magnifiquement dispensé par nos copains allemands Ekke, Ralf et Bernd, entre ici dans une nouvelle dimension. Malheureusement, Bernd n’est plus là pour nous suivre, il a disparu tragiquement au cours d’une plongée spéléo dans un réseau du sud de l’Allemagne. Nous pensons souvent à lui qui aimait tant notre belle Fontaine.
Suite aux orages de cette fin d’été, nous sommes contraints de repousser la plongée de deux jours. Le niveau est monté tout de même de quelques mètres et les bouteilles relais ne sont plus à la bonne profondeur. Je décide de plonger quand même le lendemain et de déplacer les blocs au fur et à mesure, en essayant de ne pas trop consommer du “divin mélange”.
Le départ se fait le 14 août au matin sous l’oeil tendu de toute l’équipe et un rien envieux de Lionel (et toc !). Je suis très concentré et après un dernier signe de la main comme d’habitude je m’enfonce lentement sous l’eau. La visibilité n’est pas terrible jusqu’à 21 mètres mais au sommet de la « cathédrale » la grande visi est de nouveau là.
En route vers le Prado. Phil ne m’a pas quitté et au passage, il filme tranquillement ma descente. Je bifurque vers la droite pour entrer dans le Prado et marque un arrêt vers les 60 mètres pour changer de gaz. Je commence à respirer du trimix 10/70, si léger mais si froid. J’en profite pour repositionner les blocs correctement pour le retour et la décompression. Un dernier regard vers Phil et nous nous saluons. Je me retourne et continue ma descente, seul, dans cet entonnoir qui forme l’entrée du Prado.
La galerie est maintenant bien nette autour de moi et j’arrive rapidement au terminus de mes copains. Je jette un coup au d’oeil et retrouve facilement la grande lèvre qui ressemble tant à un gour. Je m’avance jusqu’à elle et bascule doucement vers ce grand puits décrit par mes prédécesseurs. Un regard sur mes instruments et je comprends qu’il ne me reste que peu de temps, de ce précieux temps qui file si vite à cette profondeur.
Je plane doucement au dessus de cet immensité vide et noire que mes deux lampes hid ne percent que très légèrement. Un léger frisson me parcourt. J’ai pris un peu d’eau en manipulant les blocs de décompression tout à l’heure, mais pas assez pour renoncer. Je passe une dernière grosse écaille de ce rocher si particulier, travaillé par les eaux et là je découvre quelques mètres plus bas le petit robot rouge, tout feux allumés, sagement parqué sur une vire. Sa présence me réconforte et me signifie aussi que j’avais raison. Les deux branches font partie d’un seul et même réseau.
Le temps qui m’était imparti est épuisé et je dois repartir vers le haut, vers mon enfant qui m’attend et tous mes amis. Une petite pression sur l’inflateur et la remontée s’amorce. Les paliers profonds me sembleront interminables et bien que celui à l’02 soit le plus long, il passera sensiblement plus facilement. Ceci sera dû en grande partie à la présence du « grand schmoldu » qui ne cessera de m’apporter des compotes, des barres énergétiques et du bon thé à la menthe sucré et chaud. J’apprécierai aussi mon chauffage électrique qui grâce aux prises étanches fonctionnera douillettement jusqu’au bout de mes blocs accus de lampes.
La sortie sera un peu difficile car j’avais les jambes engourdies par l’immobilité et le froid. Par sécurité, quelques dizaines de minutes à 1502 me remettront rapidement en pleine forme.
Je remercie tous les copains de la SSFV pour leur aide, et tout particulièrement la Municipalité de Fontaine de Vaucluse pour le soutien matériel et les autorisations dérogatoires de plonger.
Pour la SSFV,
Thomas SOULARD